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    "Dès que l'on se décourage, on ne voit que les erreurs des autres et on reste aveugle à son propre abattement, à sa propre déchéance."

     

     


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    Ils ont douze ans... et ce jeudi-là, la bande de copains se retrouve.
    De lui, elle aime la gouaille, l'impertinence, son air canaille.
    Il l'attire, elle est timide.
    Elle le bat à la course en patins à roulettes, pourtant... Facile !
    Mais aujourd'hui, c'est une autre bataille qui se joue !
    On est en septembre... Ils se promènent sur la route que bordent les maïs déjà hauts.
    Lui, va, vient vers elle, repart, la bouche emplie de blagues et de railleries...
    Elle a le cœur battant... Elle a envie qu'il se passe « quelque chose » mais quoi ? Un désir où la peur se mêle...

    Un chemin les a menés dans ce bosquet où ils se retrouvent seuls...

    Où sont les autres ? Disparus comme par enchantement. Elle les entend rire au loin.
    Les arbustes bienveillants les entourent, elle a terriblement envie qu'il s'approche.

    Et c'est ce qu'il fait.

    S'il pouvait disparaître !
    Il reste, il s'approche de plus en plus...

    Elle tremble . Peur ? (il raille pour échapper à la sienne : « Je ne vais pas te manger »).

    Il approche toujours... Son visage près du sien...

    Vaincue, elle abdique, dépose les armes, au pied de l'Adoré, et laisse Ses lèvres se poser sur les siennes...

    Une demi-seconde plus tard, le monde a basculé...
    Non... Ce n'est plus le même air qu'elle respire... Il est vif, étourdissant, enivrant, le ciel est immensément bleu, et la joie, à l'intérieur, un bouillonnement qui l'emporte...
    Elle court... dans les maïs qui cachent pudiquement sa joie indécente... Et lui qui la suit...
    Et on retrouve les autres...
    La voient-ils encore, alors qu'elle n'est plus que joie, zéphyr, nuage... qu'elle a quitté terre ?


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    Un roman magnifique, une écriture fluide d'une beauté prenante, des personnages peints avec délicatesse et précision...

    Extrait :

    "La vérité semble bien être que, lorsqu’il lance ses feuillets au vent, un auteur s’adresse, non à la grande majorité qui jettera ses livres au rebut ou ne les ouvrira jamais, mais à la petite minorité qui le comprend mieux que ses camarades d’école et ses compagnons de vie. Certains écrivains vont même très loin dans cette voie : ils se livrent à des révélations tellement confidentielles qu’on ne saurait décemment les adresser qu’à un es-prit et à un cœur entre tous faits pour les comprendre. Ils agissent comme si l’œuvre imprimée, lancée dans le vaste monde, devait immanquablement y trouver un fragment détaché du
    personnage de son auteur et permettre à celui-ci de compléter, grâce à cette prise de contact, le cycle de sa vie. Il est à peine convenable cependant de tout dire, même lorsque l’on s’exprime impersonnellement. Mais du moment que les paroles se figent, à moins que l’orateur ne se sente rapproché de ses auditeurs par quelque lien sincère, il est pardonnable d’imaginer lorsqu’on prend la parole, qu’un ami bienveillant et compréhensif, sinon des plus intimes, vous écoute parler."

     


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    • Pour le goûter, ma grand-mère montait gauchement sur une chaise en paille, sortait du grand placard une vieille boite en fer un peu gondolée et nous offrait des chocolats blanchis par le temps. Nous allions ensuite au poulailler dénicher les œufs du jour. Le coq faisait un peu peur.

     

    • Sur le chemin du dimanche, qui longeait le ru, de grands peupliers nous dominaient et faisaient de l'ombre. Parfois un troupeau d'oies, le cou dressé, nous coursait... Elles étaient chez elles, nous avions à le savoir.

     

    • J'aimais ouvrir doucement mon cahier recouvert de plastique à carreau. Je savais que, dans la pliure, des bon-points m'attendaient. Il y en avait plusieurs, souvent. Les compter faisait mon bonheur.

     

    • La vieille maison sombre semblait abandonnée et nous attirait par son mystère. Au travers du volet mal fermé nous imaginions un regard inquiétant. Nous voulant téméraires, nous sonnions et partions en courant. Excités, bravaches, rieurs, ne nous avouant pas notre crainte.

     


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    « J'appelle anamnèse l'action mélange de jouissance et d'efforts que mène le sujet pour retrouver sans l'agrandir ni le faire vibrer, une ténuité du souvenir. » Roland Barthes

     


     

    - Dans le sable jaune à l'odeur acre conférée par la pluie et la pisse de chats, nous jouions aux billes ou avec de petits vélos de plombs colorés que nous faisions avancer sur des monticules de sable tassés par nos mains.

     

    - C'est avec la frousse au ventre qu'on se lançait dans la pente du parking. Les patins à roulettes faisaient un bruit d'enfer. En bas, les garçons nous regardaient.

     

    - Le laitier passait deux fois par semaine. On achetait des yaourts dont la fraîcheur faisait perler le verre orné de la célèbre marque et de quatre cercle bruns.

     

    - Les internes et demi-pensionnaires avaient droit à un goûter. Nous les externes on voulait aussi cette tranche de pain un peu sec et la petite barre de chocolat noir, cassante, qui faisaient, parce qu'on avait triché, le meilleur goûter du monde.

     

    - C'était l'été. J'étais fière de ma robe à pois rouge.On aurait pu me croire ornée de coccinelles. Ce jour-là, je me suis ouvert le genou. Orné lui aussi d'un joli pois rouge.

     

    - Pour ces premiers achats de grands, nous n’entrions dans la petite boutique en face du collège que par quatre ou cinq. La libraire avait fait la part belle au rayon de bonbons bigarrés. L'odeur, un curieux mélange de sucre et de papier, en plus de la chaleur, nous enveloppait de bien-être. Quelle fierté de sortir quelques centimes du fond de nos poches.

     

    - L'odeur nous cueillait dans l'escalier de l'appartement que nous louions pour les vacances. C'était une odeur de vieux bois qu'avaient tannés une multitude de pieds nus chargés du sable de la plage et du sel de la mer.

     

    - Mme Blanchot, prof d'anglais. Cette femme d'avocat, dont l'épaisse couche de fond de teint m’intriguait, arrivée sur l'estrade, rejetait ses cheveux blonds crépés d'un mouvement de tête, relevait ses lunettes noires, souriait de ses dents imposantes : « sit down ». Une heure d'ennui commençait. Au fond de la classe, j'étais déjà « down ».

     

    - M. Petit était un petit prof de technologie. J'aimais la technologie. Lui ne m'aimait pas. Il préférait ma voisine, la blonde Marie-Françoise. Il m'a humiliée en affublant une de mes géniales trouvailles d'un nom peu glorieux. Je lui en veux. Il a brisé là une brillante carrière d'ingénieur.

     

    - Très ingénieuse donc, lors de nos jeux d'enfant, j'avais inventé un système qui nous permettait, à mon amie et moi de faire pipi debout comme les garçons. Je ne m'explique pas la gêne que je ressentais alors à utiliser cet engin. C'était quand même rigolo d'avoir découpé la poire à lavement de la trousse de médecin qui se transformait ainsi en zizi.

     

    - Derrière notre immeuble, il y avait en contrebas un terrain vague, dont la forte pente, par endroit, était recouverte de quelques arbres et arbustes. C'était ma pampa, mon terrain d'aventures, ma forêt vierge que j'arpentais en conquistador.

     

     


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    C'est fête au village.Fête au village - Henri Lauga

    Quelques forains ont installé leurs manèges rutilants et de longues tables ont été dressées. Ça sent la viande grillée, les frites, la bière.

     

    Il y a foule. L'occasion de sortir de sa routine était rare ici, et on ne boudait pas son plaisir. Des rires, des cris d'enfants, les flonflons habituels de ces réunions de campagne résonnaient dans tout le patelin. Elles étaient sorties aussi. Elle et sa mère qui, pour une fois, avait accepté de quitter la ferme. Elle crut un instant pouvoir se laisser aller comme les autres. Manger, boire, rire... Boire surtout. Ça éloignait la noirceur des jours et libérait une forme de joie.

     

    Il était venu. Le copain d'école, avant. Il s'était approché. Elle avait eu un petit sourire. Puis il lui avait posé son bras au travers des épaules, lourd comme une bûche. Insistant. Elle aimait cela, cette possession, d'un coup, inattendue. Ça pouvait vouloir dire aussi protection, amour peut-être même - je te veux à moi...

     

    Mais elle ne voulait pas. Elle ne pouvait pas. Il y avait le regard de l'autre. Le regard de sa mère et ça n'était pas possible. Elle a voulu retirer ce bois pesant de ses épaules. Il ne fallait pas. Mais il a pesé plus fort, alors elle l'a laissé. Ça faisait quand même du bien, tant pis.

    Elle n'avait plus levé les yeux, avait évité d'affronter le reproche maternel, qu'elle devinait, lourd, implacable.

     

    Alors le soir à la maison, elle a été gentille, aux petits soins: « veux-tu que je t'aide, regarde, je vais éplucher les légumes pour faire la soupe... t'as rien vu, n'est-ce pas, tu vas rien dire, tu as déjà oublié, tiens, j'en suis sûre... regarde comme je t'aide bien, ça efface tout, hein ; et puis, il est parti lui, disparu, il n'est plus rien, il n'y a plus que toi et moi et vois comme je suis brave et que je t'aide bien, que veux-tu que je fasse encore... là, je vais ranger maintenant... t'énerve pas... je suis gentille, n'est-ce pas, je regrette, tu sais, je sais pas comment j'ai pu me laisser aller, mais c'est lui qui m'a forcée, ce bras sur les épaules, j'en voulais pas... suis une mauvaise fille, mais personne n'a rien vu, il s'est rien passé... »

    Le repas est prêt.
    Elle pose deux assiettes sur la table.
    La mère allume la télé.

     


     Illustration : La fête au village - Henri Lauga

     


     



     


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  •  Les mots m'ont donné peut-être de plus nombreuses joies que les idées, et de plus décisives ; — joies prosternantes parfois, comme d'un Boër qui, paissant ses moutons, trouverait une émeraude pointant son sourire vert dans les rocailles du sol ; — joies aussi d'émotion enfantine, de fillette qui fait joujou avec les diamants de sa mère, d'un fol qui se grise au son des ferlins clos en son hochet : — car le mot n'est qu'un mot ; je le sais, et que l'idée n'est qu'une image.

    Ce rien, le mot, est pourtant le substratum de toute pensée ; il en est la nécessité ; il en est aussi la forme, et la couleur, et l'odeur ; il en est le véhicule : et bai ou rubican, isabelle ou aubère, pie ou rouan, ardoise ou jayet, doré ou vineux, cerise ou mille-fleurs, zèbre ou zain, le front étoilé ou listé, peint de tigrures ou de balzanes, de marbrures ou de neigeures, — le mot est le dada qu'enfourche la pensée.

    Mais ce n'est pas pour cela que j'aime les mots : je les aime en eux-mêmes, pour leur esthétique personnelle, dont la rareté est un des éléments ; la sonorité en est un autre. Le mot a encore une forme déterminée par les consonnes ; un parfum, mais difficilement perçu, vu l'infirmité de nos sens imaginatifs.

    Si complexe que soit l'impression que donne un mot, elle est subie néanmoins en bloc, et il en est des vains vocables comme des vaines femmes, ils plaisent ou déplaisent : le pourquoi ne se trouve qu'au retour à l'état d'indifférence.

    Des mots exquis peuvent signifier des choses laides et sales, ce qui prouve bien que leur charme est indépendant du sens que le hasard et l'articulation leur ont départis. Amaurose : cela ne semble-t-il pas, tout d'abord, un mot d'amour ? Et quel poëte, en même temps que les lauroses et les lorioses ne voudrait cueillir pour ses vers les couperoses et les madaroses ?

    Savoir la signification des mots est souvent attristant : la pompe des sedors s'éteint sous l'eau où on les traîne, et les erminettes fraîches comme des joues de petite fille s'ébrèchent en les entailles, et se rouillent de la sueur du charpentier.

    Aussi les mots que j'adore et que je collectionne comme des joyaux sont ceux dont le sens m'est fermé, ou presque, les mots imprécis, les syllabes de rêve, les marjolaines et les milloraines, fleurs jamais vues, fuyantes fées qui ne hantent que les chansons de nourrices.

    O princesses d'antan glorifiées de menu-vair, est-ce d'émaux ou de fourrures, et voulut-on alléguer votre robe ou votre blason ?

    Si la jaune chélidoine a fleuri, en est-elle moins la pierre des philtres et des surprises ?

    Quelles réalités me donneront les saveurs que je rêve à ce fruit de l'Inde et des songes, le myrobolan, — ou les couleurs royales dont je pare l'omphax, en ses lointaines gloires ?

    Quelle musique est comparable à la sonorité pure des mots obscurs, ô cyclamor ! Et quelle odeur à tes émanations vierges, ô sanguisorbe !

     

    Nota bene : le texte reproduit ici est celui de l'Idéalisme, imprimé par Monnoyer, le 15 avril 1893. Nous avons corrigé, dans le cinquième paragraphe, vaudrait en voudrait ; dans le sixième s'ébrêchent en s'ébrèchent.

     

    Cet extrait a été trouvé ici :

    http://www.remydegourmont.org/de_rg/oeuvres/idealisme/textes.htm#livresseverbale


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  • Où les routes sont tracées, je perds mon chemin.

    Sur la vaste mer, dans le bleu du ciel, il n'y a point de lignes marquées.

    Le sentier est caché par les ailes des oiseaux, le feu des étoiles, par les fleurs des saisons différentes.

    Et je demande à mon cœur : ton sang ne porte-t-il point la connaissance de l'invisible chemin ?


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  • « J’ai vu naître un mot ; c’est voir naître une fleur. Ce mot ne sortira peut-être jamais d’un cercle étroit, mais il existe ; c’est lirlie. Comme il n’a jamais été écrit, je suppose sa forme : lir ou lire, la première syllabe ne peut être différente ; la seconde, phonétiquement li, est sans doute, par analogie, lie, le mot ayant conçu au féminin. J’entendais donc, à la campagne, appeler des pommes de terre roses hâtives, des lirlies roses : on ne put me donner aucune autre explication, et le mot m’étant inutile, je l’oubliai. Dix ans après, en feuilletant un catalogue de grainetier, je fus frappé par le nom d’early rose donné à une pomme de terre, et je compris les syllabes du jardinier. » (Esthétique de la langue française, Mercure de France, 1899).

    (source : Wikipédia)


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  • Vous avez parcouru les quelques mètres qui vous sépare de l'entrée précautionneusement, pour faire crisser le moins possible les gravillons du chemin puis vous avez poussé la lourde porte de bois doucement pour ne pas déranger le recueillement que les murs épais enserrent.

    Vous vous asseyez délicatement car vous savez bien que le banc de bois va craquer. Vous croyez vous en être bien sorti et vous voilà fin prêt à accueillir le silence et l'ombre de la chapelle. Mais ce n'est pas le repos escompté.

     

    C’était sans compter sur l'odeur. Violente n'est évidemment pas le mot approprié... Mais il y a une certaine violence à être pris en otage ainsi par quelque chose qu'on ne peut cerner, comprendre immédiatement et à laquelle on n'est pas préparé. Ça vous remue, vous interroge, vous absorbe...

    Dans ce qui a captivé vos narines, il y a de la terre, c'est profond, humide, épais, boisé ; il y a de l'animal, c'est musqué, ambré. Il y a du minéral, c'est la pierre et ses moisissures, l'alchimie minutieuse des jours, années, siècles de symbiose.

    La flamme de la bougie qui danse là-bas emporte, élève, mixte tous ces effluves éternels qui vous arrivent presque en une suffocation et mêle aussi ce qu'il y a eu d'humain, la supplique, la peine, l'attente...

    Chaque inspiration vous emplit, vous emporte, vous ravit, vous voudriez vous fondre dans cette odeur des siècles... c'est un peu d'éternité qui vous a cueilli.

     

    Et vous ne savez plus, du silence épais, de l'obscurité ou de cette odeur, ce qui vous a pénétré, possédé, et qui vous fait tituber quand vous retrouvez la bruyante, l'éblouissante, l'inodore lumière.

     


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