• Mondes parallèles

    Un rythme joyeux, rapide, entraînant emplissait l'habitacle de la voiture. J'avais poussé le son au maximum et sentais les vibrations marteler chacune de mes cellules. La joie au cœur et au corps était permise avec l'envie de bouger, de danser en cette belle journée bleue, éclatant de tout son feu de soleil et de chaleur.

    Arrivée à destination - la pharmacie - je coupe le moteur.

    Stupeur.

    Un silence de plomb s’abat sur moi, me fige.

    Non, ce n'est pas le silence qui me pétrifie.

    C'est un son. Un son lourd, épais, pesant, accablant, monocorde, qui martèle, découpe lentement, très lentement l'espace alentour.

    Le glas.

    Je tourne la tête.

    Toutes proches de moi, des silhouettes sombres, immobiles et debout entourent quelqu’un qui s'est couché pour toujours.

    Et le son lent, obstiné se pose sur chacune d'elles ; accompagnant lourdement leur peine de son incessante rengaine.

    Toute la tristesse du monde s'est abattue sur la place de l'église. L'enserre de son rythme monotone, lugubre, de sa musique grise.

    Le glas.

    Rupture. Coupure. Contretemps.

    Mondes parallèles. Même temps, même espace.

    Vie. Mort.

    Car je suis vivante, gaie, moi, là, si près d'eux ; emplie de rythmes rapides, ceux de la musique, celui du cœur, celui des oiseaux du jardin que je venais de quitter, celui du fleuve puissant qui galope au bas du village

    Et eux, là, tout près de moi, si proches, immobiles dans leur douleur, battus par le son de la mort.

    Me viennent ces mots : « N’envoie jamais demander pour qui sonne le glas : il sonne pour toi. »

    Oui, le glas m'a prise en otage.

    Lentement, péniblement, yeux baissés, comme honteuse de ma joie, je sors de la voiture, me fond dans l’épaisseur du silence dépecé par cette cloche preneuse d'otage.

    J'entre dans la pharmacie. Monde parallèle; peuplé de doux sourires.

    Des sourires de connivence et d'excuse qui disent : « On est encore bien vivants, hein, nous. Bien sûr, on l'entend et on la voit là-bas, la tristesse ; on compatit, bien sûr. » Bien sûr qu'elle est entrée aussi, ici, la mort, portée par le glas... Mais il y a une douceur ici, une douceur automnale comme pendant ces jours, avant l'hiver, où les feuilles mortes craquent sous la chaussure et qu'un soleil voilé nous réchauffe encore... Et malgré le glas, peut-être à cause de lui, il y a cette douceur palpable dans ce lieu clos d'encore-vivants. Un rempart à l'atrocité de la mort, là-bas, de l'autre côté de la vitrine.

    Je remonte dans mon auto.

    Ferme la portière.

    Contact.

    Rythmes frénétiques.

    Vaincu, le glas.

    Vaincue, la mort.

    Monde parallèle.

     

     

     

     

     


    Tags Tags : , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :