• Noces de cristal

    Longtemps, je l'avais cherchée. Je savais qu'elle existait quelque part et qu'elle m'attendait.
    C'était un jour banal, comme un autre, peut-être un peu plus ensoleillé ; je flânais dans la rue pentue d'une petite ville provençale, contemplant les nombreuses devantures colorées, quand mon regard fut attiré par le scintillement d'un objet un peu caché dans un coin d'une vitrine sombre.


    Elle était là.
    N'en croyant pas mes yeux, doutant que ce fut vraiment elle, je l'examinai attentivement.
    Telle une jeune coquette se sachant observée, elle cambra son dos de cristal. Son anse évasée sembla appeler ma main. J'osai un regard insistant. Il me fallait juger de la finesse de sa bouche puisque j'y poserai la mienne. Sans pudeur, elle me dévoila l'arrondi parfait de son évasure et sa minceur idéale.
    C’était donc bien elle. La tasse à thé de mes rêves. J'entrai dans la boutique et demandai à la voir de plus près, à la toucher...
    Délicatement, sans vouloir la brusquer par ce premier contact et briser là tout net notre future vie commune, je la pris en main. Elle en épousa parfaitement la forme. Notre union fut ainsi scellée.
    Elle trouva sa place sur une étagère du placard vitré de la cuisine. Je pouvais ainsi tout à loisir l'admirer. Je ne la mélangeais pas aux autres tasses plus communes, craignant que la proximité de la belle ne provoquât des heurts de jalousie. C'est sûr, elles n'étaient pas de la même race ! Connaissant ses atouts, la belle de cristal ne manquerait pas de jeter ses feux et d'attirer ainsi les représailles...
    Elle trôna donc sur une tablette de verre, seule, en compagnie de la théière japonaise, ventrue, imposante mais débonnaire. Chaque matin je l'y cueillais et sans rechigner elle acceptait la liqueur fauve et brûlante dont je l'abreuvais.
    Sa transparence cristalline laissait chatoyer l'ambre du thé que je dégustais à petites gorgées, mes lèvres posées sur sa fine bouche. Dans la calme feutré du petit matin, nous vivions des moments intimes et intenses. Blottie au creux de mes mains, sa chaude douceur me réveillait peu à peu tandis que les premières lumières du matin léchaient la lucarne du bureau.
    La journée pouvait commencer. Plongée dans un livre, je l'abandonnais alors de longues heures. Sans rechigner, elle supportait les remugles de thé froid, attendant le coup d'éponge et de torchon qui lui rendrait sa splendeur virginale.

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    Ce texte participe au Grand prix Printemps 2016 sur Short éditions.

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